Beaucoup d'accros au tricot souffrent de cette maladie qu'on appelle vulgairement la "castonite" elle vient du terme anglais "cast on" = monter des mailles et se définit par une équation déséquilibrée entre le nombre des projets que l'on commence et ceux que l'on termine.
C'est vrai que la tentation est grande, on accumule de la laine et de nouveaux projets attrayants sont publiés sans cesse.
Le dernier en date étant le nouveau livre de
Brooklyn Tweed Spring Thaw des photos sublimes, un design simple et raffiné bourré de petits détails élégants sans aucun tape à l'oeil. Les
64 pages de ce livre sont visualisables en ligne et téléchargeables en pdf... pour rêver.
En général c'est là que la machine à projection se met en route dans ma tête. J'ai repéré mes modèles préférés, je commence à les imaginer : quelle laine choisir ? comment les adapter ? Utiliser la laine proposée serait à la fois trop simple (où est le plaisir de suivre à la lettre les indications?) et trop compliqué car il faut la commander aux USA et pour l'instant j'ai résisté vaillamment aux tentations de la
Shelter et de la
Loft, les deux laines de Brooklyn Tweed, alors c'est pas le moment de craquer.
Par contre je vous recommande vivement la lecture des 5 articles qui détaillent toute la fabrication de ces laines
ICI, mais sachez que c'est encore plus dur de ne pas craquer après avoir vu ça !
© Jared Flood/Brooklyn Tweed
Je jette mon dévolu sur un modèle, par exemple le
Quill, une simple couverture carrée mais portée comme un châle avec sa bordure en dentelle, il faut 1100 yards de laine fingering pour réaliser ce "petit" modèle. Alors je fais le tour de mes laines, quelle couleur ? Unie ou nuancée ? Quelle matière ? Ce genre de châle doit il avoir le tombé de l'alpaga, de la soie, du bambou ? Ou plutôt la légèreté du mohair ? Le toucher moelleux de certain mérinos ? Et pourquoi pas le faire dans une laine plus fine ?
Cette machine à conjectures fonctionne jour et nuit, je peux me relever pour aller assortir deux écheveaux. Je peux aussi changer d'avis des dizaines de fois avant de me lancer dans un projet.
Mais dans toute mon activité de tricoteuse, je crois que ce moment -AVANT- est mon préféré. Une fois que le projet est sur mes aiguilles, je le termine tant bien que mal, parfois dans la joie et parfois dans la souffrance. Il arrive aussi que le résultat final me surprenne, que je m'attache, que je me lasse et que je traine des pieds pour ne pas terminer trop vite (un peu comme un bon roman qu'on a envie de savourer page après page quitte à revenir en arrière pour relire certains passages) quitte à défaire quelques rangs pour corriger une erreur mineure, mais qu'importe ça sera parfait.
En cours un modèle de couverture de Jared Flood Shale Baby Blanket tricoté en Viola MCN Worsted (un bonheur !)
L'envie est mon moteur, la phase d'imagination et de projection qui précède la réalisation c'est là que la magie se produit, que les idées s'imposent à moi, que l'obsession se transforme en réalisation.
Mon penchant pour le tricot va toujours vers l'avant.
Le prochain projet m'intéresse plus que celui que je tricote actuellement parce qu'il est encore sous la forme idéale et pure du possible et du virtuel. Parce que je peux le modifier à l'infini.
Les tricoteuses qui ont tendance à commencer trop de projets sans jamais les finir sont soit de celles qui partent tête baissée sans avoir pris le temps de mûrir leur projet, soit de celles qui ont une idée tellement précise qu'elles n'arrivent jamais au résultat escompté et abandonnent en cours de route.
Je suis exigeante, mais réaliste et j'aime me laisser surprendre. J'aime aussi avoir quelque chose à montrer après tout ce processus, même imparfait, même si je sais que le prochain sera mieux. C'est aussi la raison pour laquelle je n'ai aucun scrupule à donner ce que je fais, chaque projet n'est qu'une étape vers un idéal à venir. Alors en avant ! Projet après projet, j'apprends et je défie le temps. Car passer des heures à tricoter n'est pas du temps perdu, bien au contraire.